lundi 30 septembre 2013

Intérieur d'une cuisine

En 1793, lors de la profanation de la chapelle Sainte-Anne de l'église du Val-de-Grâce, qui renfermait les cœurs embaumés des rois et reines de France, Petit-Radel s'empara de treize urnes reliquaires en vermeil contenant les cœurs de plusieurs souverains ou personnages princiers et les vendit ou les échangea contre des tableaux à des peintres qui recherchaient la substance issue de l'embaumement ou « mummie » – très rare et hors de prix – alors réputée, une fois mêlée à de l'huile, donner un glacis incomparable aux tableaux. L'un des ces cœurs entra ainsi en possession du peintre Martin Drolling qui l'aurait utilisé pour peindre son Intérieur d'une cuisine (Paris, Musée du Louvre). "Un honnête bourgeois de la ville de Paris, Philippe­ Henri Schunk, 26, rue d'Artois, avisa, un jour de février 1819, une affiche annonçant la vente du mobilier et des collections de M. Petit-Radel, architecte, décédé le 7 novembre 1818. Grand amateur de curiosités, Shunk se rendit à la vente dirigée par le commissaire-priseur Petit­-Guénot, qui mit aux enchères, après divers meubles, quelques plaques portant des noms royaux, arrachés pendant la révolution aux urnes fracassées, qui avaient contenu les coeurs embaumés des reines, rois et princesses de France. Shunk se vit adjuger, pour la somme rondelette de 9 francs, le treizième et le quatorzième lot, deux plaques aux noms de Louis XIV et de Louis XIII. Notre collectionneur, très fier de son acquisition, voulut par la suite, en savoir davantage. Son enquête l'amena à faire la connaissance du peintre Saint­-Martin, grand ami de l'architecte Petit-Radel. Saint-Martin, pressé de questions, expliqua à Shunk qu'un jour, à l'époque de la Révolution avec son camarade Martin Drolling, peintre également, il s'était rendu à l'invitation de Petit-Radel pour assister à la destruction des monuments funéraires royaux. Petit-Radel avait, en effet été chargé, en sa qualité d'architecte, de dresser un rapport sur cette opération. Matière première à bon marché A vrai dire, les deux peintres n'étaient pas là en simples curieux. Ils venaient pour affaire. En ce temps-là on utilisait, pour réaliser la couleur sépia, des résidus bitumeux provenant des momies découvertes au Levant. Bien entendu, la "momie" (C'est ainsi que dans les ateliers de peinture on appelait cette couleur de fabrication très spéciale) coûtait fort cher et nos deux peintres, sachant que les coeurs de rois avaient été embaumés dans des conditions analogues à celles des momies égyptiennes, pensaient trouver dans les urnes et à bon compte, de la matière première. Ils avaient vu juste. Petit-Radel remit à son ami Saint-Martin le coeur de Louis XIV en lui disant : "Tiens, prends celui-là, c'est le plus gros". Il a même ajouté le cœur de Louis XIII. Quant à Drolling, qui peignait clair-­obscur à la manière flamande et employait beaucoup de "momies", il se servit largement, emportant sous le bras onze coeurs, dont celui d'Anne d'Autriche... Shunk demanda à Saint-Martin ce qu'il avait fait des précieuses reliques. Le peintre retrouva la moitié du coeur de Louis XIV qu'il avait entamé, mais il lui fut impossible de mettre la main sur celui de Louis XIII. "Je ne l'ai pas touché et il est intact, entouré de bandelettes auxquelles pend une petite médaille. Mais où est-il ? Il y a un tel fouillis ici..." Shunk fit part de sa découverte à l'intendant du roi Louis XVIII et lui remit ce qui restait du cœur du roi-Soleil. Louis XVIII, reconnaissant et sans rancune, offrit à Saint-Martin une tabatière en or. Le peintre, ne voulant pas être en reste, faisait parvenir, un an plus tard à Shunk le coeur de Louis XIII : il l'avait retrouvé dans un coin de son atelier... Il est vraisemblable que nul n'osa conter au souverain ce qu'il était advenu des autres coeurs qui passèrent les uns après les autres, sur la palette de Martin Drolling. En effet, depuis la mort de l'artiste, son chef d'oeuvre :"Intérieur d'une cuisine" avait été acheté pour le compte de Louis XVIII lui-même. Si bien que le roi eut dans sa collection un tableau confectionné avec les coeurs de quelques-uns de ses ancêtres ...

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