jeudi 16 mai 2013

Haüy

D'origine modeste, fils d'un tisserand, Haüy naquit le 28 février 1743, à Saint-Just-en-Chaussée, petite ville du Beauvaisis. Il fut ordonné prêtre en 1770, et devint régent d'une classe de seconde au collège du cardinal Lemoine ; là, il se lia d'amitié avec le latiniste Charles Lhomond qui y était professeur ; celui-ci aimait la botanique et inspira à Haüy le goût des sciences naturelles.
Haüy suivit des leçons au Jardin du Roi, dont celles du botaniste Antoine-Laurent de Jussieu et de Daubenton sur la minéralogie. C'est pour avoir par mégarde laissé tomber un cristal prismatique de spath calcaire (calcite CaCO3) qui se brisa, que Haüy aurait eu l'illumination qui devait être si fructueuse. Il remarqua que les fragments du prisme brisé présentaient des faces planes et lisses, avec les mêmes angles que les cristaux de la variété rhomboédrique bien connue, le spath d'Islande.
Le hasard, on l'a dit, ne favorise que les esprits préparés, et c'est l'étude de la botanique qui avait conduit Haüy à se poser un problème que l'accident fortuit devait l'amener à résoudre.
Pourquoi, se demandait-il, alors qu'une même espèce végétale est toujours identique à elle- même, et que, par exemple, les glands de tous les chênes ne présentent aucune différence, ourquoi les cristaux d'un même minéral adoptent-ils des formes si diverses ? Ne pourraient-ils être soumis à des lois constantes comme les végétaux ? Les cristaux de spath calcaire, en particulier, se présentaient sous de nombreuses formes différentes : Haüy écrira plus tard à Cuvier que ce spath était « un vrai Protée », dont il avait trouvé 29 variétés.
En brisant à nouveau les morceaux du prisme qui lui avait échappé des mains, Haüy obtint encore d'autres rhomboèdres plus petits. Haüy cassa alors des cristaux de calcite de formes différentes et constata que les plus petits fragments étaient invariablement des rhomboèdres.
Il comprit alors que les cristaux de formes diverses de la calcite étaient formés par l'empilement de petits rhomboèdres élémentaires, qu'il appela molécules intégrantes, et que la diversité des formes venait du décroissement différent des couches successives empilées à partir des différentes faces du noyau : « Les molécules du spath calcaire n'ont qu'une seule et même forme, c'est en se groupant diversement qu'elles composent ces cristaux dont l'extérieur si varié nous fait illusion. »
Haüy entreprit alors de casser tous les minéraux de sa collection - Romé de L'Isle le traita de cristalloclaste - et détermina ainsi la forme des molécules intégrantes de chacun : pour la pyrite, c'est un cube, pour le gypse, un prisme droit dont la base est un parallélogramme, etc.
Il calcula alors géométriquement, à partir de la forme de la molécule intégrante, les angles de toutes les faces secondaires que les décroissements pourraient produire.
À partir de la molécule intégrante de Haüy, son élève, le minéralogiste Gabriel Delafosse (1796-1878) devait, plus tard, définir la maille cristalline. Encouragé par Daubenton, puis par Laplace, Haüy présenta ses résultats à l'Académie des sciences en 1781. En 1783, il y fut élu… mais comme adjoint botaniste, en remplacement d'Antoine-Laurent de Jussieu, puis, en 1785, comme associé de la classe d'histoire naturelle et minéralogie. En 1795, lors de la création de l'Institut national, il fut nommé membre résidant de la section d'histoire naturelle et minéralogie de la 1ère
Classe. Dans son Éloge historique de Haüy, lu le 2 juin 1823, Cuvier déclara : « Il n'est presque plus de minéral cristallisable dont Haüy n'ait déterminé le noyau et les molécules avec la mesure de leurs angles et la proportion de leurs côtés, et dont il n'ait rapporté à ces premiers éléments toutes les formes secondaires, en déterminant pour chacune les divers décroissements qui la produisent, et en fixant par le calcul leurs
angles et leurs faces. C'est ainsi qu'il a fait enfin de la minéralogie
une science tout aussi précise et tout aussi méthodique que l'astronomie. »
Dès les premiers succès de Haüy, des envieux ne se firent pas faute de rappeler qu'un jeune suédois Johann-Gottlieb Gahn (1745-1818), élève du chimiste Bergman avait, lui aussi, laissé tomber un cristal pyramidal de spath et remarqué que le noyau était un rhomboèdre. Toutefois, Bergman, au lieu de faire répéter
l'expérience sur d'autres minéraux, s'engagea dans de vaines spéculations et n'aboutit à rien.
C'est à Haüy que l'on doit la notion d'espèce minérale. Il décrivit, et nomma, de nombreux minéraux. Il fut le premier à noter que les axes de symétrie des cristaux ne pouvaient être que d'ordre 2, 3, 4 ou 6, excluant l'ordre 5. Il s'intéressa également à la physique des minéraux, en particulier au développement de charges électriques
par la pression (piézoélecricité), le frottement (triboélectricité) et la chaleur (pyroélectricité). Son premier ouvrage Essai d'une théorie sur la structure des cristaux (1784) fut suivi, entre autres, de l'Exposition abrégée de la théorie de la structure des cristaux (1793), d'un Traité de minéralogie (1801), d'un Traité élémentaire de physique (1803) et d'un Traité de cristallographie (1822). Il
avait continué à s'intéresser à la botanique, et publié, en 1802, La botanique de Jean-Jacques Rousseau, en collaboration avec Antoine-Laurent de Jussieu.
Haüy fut professeur de minéralogie au Muséum national d'histoire naturelle et professeur de physique à l'École normale de l'an III (1794). Joseph Fourier, qui y fut son élève, dit de lui : « Il est tellement timide que si quelqu'un prend la parole pour lui demander un éclaircissement, il se brouille et répond mal ou pas du tout. » Il fut le premier titulaire de la chaire de minéralogie de la
Faculté des sciences de Paris.
Ayant refusé de prêter le serment à la constitution civile du clergé, Haüy fut arrêté en août 1792 comme prêtre réfractaire, mais grâce à l'intervention de son élève Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, qui lui procura un certificat de civisme, il fut libéré deux jours avant le début des massacres de septembre. Il fut membre de la Commission des poids et mesures de l'Académie des sciences, et participa, avec Lavoisier, à la définition du kilogramme. Napoléon le nomma chanoine de Notre-Dame de Paris, mais Louis XVIII — qui pourtant avait comme ministre le régicide et mitrailleur de Lyon, Fouché —, lui supprima ses pensions, au motif, semble-t-il, que la Révolution avait été trop clémente à
son égard.

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