dimanche 2 juin 2013

Vertigo

Thomas Narcejac et son compère Pierre Boileau ont écrit plus de cinquante romans. De cette abondante production se détachent deux livres, Celle qui n'était plus et D'entre les morts, qui devinrent deux films célèbres: les Diaboliques de Clouzot et Vertigo de Hitchcock.
Le tandem Boileau-Narcejac est l'association bien comprise de deux hommes à l'opposé l'un de l'autre, et donc parfaitement complémentaires. Boileau est un mondain, un beau parleur nourri de littérature policière et à l'imagination féconde. A l'inverse, Narcejac est un besogneux, mal à son aise quand il s'agit de concevoir des histoires mais doué pour le travail d'écriture.
Cette stricte répartition des tâches fait aujourd'hui avouer à Narcejac que Boileau n'a jamais écrit une ligne de leur oeuvre commune. Ils se rencontrent au milieu de la guerre, vers 1941-1942, lors de la remise d'un prix littéraire et décident de travailler ensemble. Après un premier essai peu réussi, Celle qui n'était plus attire l'attention de Henri Georges Clouzot. Mais, l'auteur du Corbeau et de l'Assassin habite au 21 réalise quatre long métrages avant de confirmer son option sur le livre et de s'attaquer à l'adaptation.
Ce brusque regain d'intérêt pour un projet déjà vieux de dix ans s'explique par le fait que Hitchcock avait manifesté son désir d'en acheter les droits. Voyant son instinct confirmé par «le maître du suspense» en personne, Clouzot se dépêche de tourner le film. Habilement lancé par une intense campagne publicitaire, les Diaboliques remporta un immense succès et apporta la gloire à Boileau-Narcejac.
Bien que ravis de leur notoriété nouvelle, ils ont bien conscience d'avoir laissé passer l'occasion de voir une de leurs histoires adaptée par Hitchcock. Ils décident alors de concevoir leur prochain ouvrage spécialement pour lui. Comme d'habitude, c'est Boileau qui trouve l'idée du héros, sujet au vertige. «Si tu crois que tu vas intéresser Hitchcock avec l'histoire d'un mec qui se casse la gueule d'un tabouret parce qu'il a le vertige, tu te goures!» dit Narcejac à son complice.
Malgré cette sombre prédiction, Hitchcock achète immédiatement D'entre les morts, rencontre plusieurs fois le duo et justifie les modifications qui lui paraissent nécessaires. Sûr de son prestige et de l'admiration des deux petits Français, il n'a aucun mal à les convaincre que ses options sont les seules possibles. Il pousse même la gentillesse jusqu'à leur dessiner quelques plans du futur film, encore intitulé From Amongst the Dead.
Le cadre bien français (le malheureux acrophobe retrouvait Madeleine dans des actualités cinématographiques consacrées à la visite du général de Gaulle à Marseille!) de ce «roman de la victime» devient San Francisco, le contexte de la guerre est évacué et, fidèle à ses préceptes, Hitch dévoile le pot aux roses aux trois quarts du film. Malgré ces changements, Boileau et Narcejac furent enchantés du résultat. Leur habile petit roman avait servi de base narrative au plus beau film d'Alfred Hitchcock.

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