jeudi 28 novembre 2013

Treves olympiques

Dès que l'on parle du sport antique, c'est forcément pour dire qu'il était innocent, gratuit, pur et honnête. Dans le meilleur des cas, on admettra qu'il a pu être perverti et corrompu par la Rome des gladiateurs. Et pourtant, «il serait naïf de croire que l'idéal grec fut atteint en permanence dans l'Antiquité», démythifie l'historienne du sport grec Violaine Vanoyeke*. En tête de cette liste des poncifs éculés, on trouve bien sûr la célèbre formule attribuée (abusivement) au baron de Coubertin, selon laquelle «l'important est de participer». Un concept totalement inconnu des Grecs anciens, pour qui l'important était de gagner. «La notion de record n'existait pas, mais seule la victoire était jolie», corrige Pierre Ducrey, professeur d'histoire ancienne à l'Université de Lausanne. Les hommes qui s'alignaient à Olympie ne s'appelaient pas des athlètes pour rien. Tiré de la racine athlos, signifiant la lutte, le combat. Des affrontements parfois mortels, comme le montre cette épitaphe retrouvée à Olympie sur la tombe de cet homme qui, «A l'âge de 35 ans, tomba ici en boxant dans le stade, après avoir demandé à Zeus de lui accorder la victoire sinon la mort.» Entrés en lice pour gagner à tout prix, les Anciens recouraient aux mêmes ficelles que celles utilisées dans le sport actuel. La corruption des juges, l'arbitrage favorable à un athlète local et l'achat de l'adversaire sont attestés. Comme les coups bas. Le rhétoricien Lucien de Samosate (IIe siècle) nous parle ainsi de ce mauvais perdant qui, «désespérant d'obtenir le prix par sa rapidité, a recours à des manoeuvres déloyales. Il ne songe qu'à arrêter, gêner ou faire tomber son rival». Les nationalisations facilitées pour les athlètes d'origine «étrangère» ne datent pas non plus de la fin du XXe siècle. Elles étaient monnaie courante dans la Grèce antique, comme nous l'apprend Astylos, vainqueur de deux épreuves en 488 av. J.-C. sous les couleurs de Crotone avant de se présenter aux jeux suivants comme citoyen de Syracuse. Ou le Crétois Sotadès, qui remporte une épreuve de course en 384 av. J.-C. et qui revient quatre ans plus tard sous les couleurs d'Ephèse. Une trahison qui lui vaut d'être exilé de Crète. Antique publicité Ces deux anecdotes montrent encore que le sport fait déjà l'objet de récupérations politiques. «Les meilleurs exemples de ce phénomène nous viennent notamment des tyrans de Sicile, qui dirigeaient de riches cités comme Syracuse et Géla, ajoute Pierre Ducrey. Ils faisaient rappeler les victoires de leurs athlètes par des artistes. Le plus célèbre exemple de cette publicité est le fameux aurige en bronze, vestige d'un attelage complet qui avait été exposé à Delphes.» Faut-il ajouter que l'humanité n'a pas eu à attendre Guy Drut pour voir des carrières politiques s'appuyer sur des exploits sportifs? Alcibiade, notamment, avait réussi un coup similaire, quand ce richissime homme d'Etat athénien sponsorise des équipages de chars qui terminent aux première, deuxième et quatrième places des Jeux. Ce qui lui a permis de gagner une élection à Athènes et de plastronner durant la campagne électorale: «Si les Grecs ont exagéré la puissance d'Athènes, c'est qu'ils ont été éblouis par le faste de ma participation aux fêtes d'Olympie. Eux qui pensaient voir cette puissance abattue par la guerre m'ont vu mettre en ligne sept chars. Personne n'en avait jamais fait autant.» Les Grecs pouvaient donc tricher, corrompre et se montrer vénaux, mais ils n'étaient certainement pas dopés. C'est à voir. Car, si l'EPO et les hormones de croissance n'existaient pas à l'époque, les athlètes recourraient à d'autres produits susceptibles d'améliorer leurs performances. «Milon de Crotone avait adopté un régime à base de viande. Astylos de Crotone, vainqueur d'une épreuve de course, prônait une alimentation allégée. Des entraîneurs célèbres comme Icco de Tarente (IVe siècle av. J.-C.) prescrivaient des traite- ments scientifiques et médicaux pour les athlètes», rapporte Violaine Vanoyeke. Notons encore que les managers avaient fait leur apparition et étaient aussi mal vus à Olympie qu'ils le sont aujourd'hui, rapporte l'écrivain Philostrate, leur reprochant vers l'an 200 de s'être «fait entraîneurs par esprit de lucre». On sait enfin que les voleurs et les parieurs oeuvraient aux abords des stades, où «s'installait encore une foule de petits commerçants vendant souvenirs et boissons ou de prostituées», ajoute Violaine Vanoyeke. Et pourtant, son idéal antique perdure. Sans doute à cause de cette habitude tenace qui consiste à croire en permanence que tout était mieux avant

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