La flèche de grés rose, réalisée par Johannes Hultz de
Cologne qui en fit l’édifice le plus haut du monde jusqu’en 1874, illumine
Strasbourg depuis le 24 juin 1439. La Révolution et ses cohortes de
révolutionnaires exaltés ont voulu, un temps, détruire à jamais cette flèche,
haute de 142 mètres et orgueil de notre patrimoine régional. « C’est une chose
admirable de circuler dans cette monstrueuse masse de pierre toute pénétrée
d’air et de lumière, évidée comme un joujou de Dieppe, lanterne aussi bien que
pyramide qui vibre et qui palpite à tous les souffles du vent . »
Le 2 septembre 1793, la Convention ordonnait de détruire
partout les portraits et effigies des rois. A partir de ce moment, la
cathédrale fut directement menacée car sa façade portait les statues de
plusieurs monarques.
Le 15 octobre, la municipalité, alors dirigée par le maire
Monet, entreprit de fermer plusieurs églises de la ville pour les transformer
en magasins de fourrages. Le 27 brumaire an 11 (17 novembre) le maire Monet
annonça que l’édifice de l’église cathédrale servirait à la célébration du culte
national et porterait désormais le nom de « Temple de la Raison ».
Le récit officiel dit ceci : « Ce temple avait été pendant
quinze siècles le théâtre de l’imposture. À la voix de la Philosophie, il fut
purifié en trois jours de tous les ornements ridicules du fanatisme ».
Sur le grand portail de la façade, on avait dressé un
écriteau portant ces mots « La lumière après les ténèbres ». Un gigantesque
drapeau déroulait ses plis au-dessus de l’entrée. Les tympans des autres
entrées étaient recouverts de panneaux en bois portant des inscriptions
révolutionnaires. La célèbre chaire de Geiler, sauvegardée par la fondation
Notre-Dame, fut remplacée par une large tribune où flottaient des bannières
nationales qui annonçaient : « Le trône et l’autel avaient asservi les hommes »
et « La raison et la force leur ont rendu leurs droits ».
Les administrateurs du district avaient envoyé au début du
mois de mars 1793 une note qui disait : « Plusieurs bâtiments en cette commune
blessent la vue du patriote par les signes de féodalité et de superstition qui
les déshonorent. Le Temple de la Raison même, car la tour est surmontée d’une
croix qui ne peut convenir qu’aux temples du fanatisme ». Le corps municipal
était partagé entre la crainte de se compromettre et sa volonté de ne pas
mutiler davantage la cathédrale, déjà bien éprouvée par la destruction des statues
de pierre et autres ornements religieux.
Personne n’avait encore proposé d’abattre la flèche mais ce
moment allait malheureusement arriver car, le 11 pluviôse, Tétérel devint
officier municipal. Cet énergumène faillit être plus néfaste à notre cathédrale
que tous les terroristes réunis. Né vers 1759 dans le Lyonnais, Antoine Tétérel
s’installa à Strasbourg en 1789. Il tenait à faire preuve de civisme et par des
propositions extraordinaires, à se distinguer parmi les extrêmes. C’est poussé
sans doute par ce sentiment de vanité féroce qu’il en vint faire, dans la
séance des Jacobins du 24 novembre 1793, la motion d’abattre le tour de la
cathédrale jusqu’à la plate-forme, car l’existence de cette flèche altière
blesse profondément le sentiment de l’égalité. La municipalité hésita et
prétendit que les frais de démolition seraient trop importants. Néanmoins, le
citoyen Jean-Michel Sultzer estima qu’on réveillerait bien autrement le civisme
des populations en plantant le symbole de la liberté sur cette pyramide
gigantesque, pour annoncer au loin la fin de l’esclavage aux populations
rhénanes. Jean-Michel Sultzer était officier municipal et maître serrurier ;
c’est lui qui avait été chargé d’enlever les belles grilles en fer forgé qui
séparaient le chœur de la nef ainsi que de démolir les portes de la cathédrale
que l’on croyait en bronze alors qu’elles n’étaient que de bois massif
recouvert d’une très fine épaisseur de bronze. Il habitait place de la
cathédrale avec sa femme, Madeleine Drouet. Leur fille, Catherine, devint plus
tard Soeur Vincent Sultzer, Supérieure générale des Sœurs de la Charité de
Strasbourg de 1813 à 1868. Donc, la proposition du citoyen Sultzer prévalut et
il fut décidé que le bonnet des Jacobins serait arboré sur la croix, surmontant
la lanterne.
Cela fut fait entre le 23 floréal et le 5 prairial de l’an
Il (du 12 mai au 13 juin 1794) un énorme bonnet phrygien en tôle badigeonné de
rouge vif fut hissé au sommet de l’édifice. Les bras de la croix furent
dissimulés derrière d’immenses guirlandes de feuilles de chêne peintes en vert
et fabriquées avec le même métal. Ce bonnet rouge fut surnommé par les
Strasbourgeois « Kàffeewärmer » ou « chaufferette à café » en raison d’une
certaine ressemblance avec l’ustensile de cuisine utilisé à cette époque.
Le bonnet phrygien demeure sur la flèche jusqu’au 27
germinal an X (17 avril 1802). Réclamé par Jean-Jacques Oberlin, bibliothécaire
de la ville, il fut placé dans une salle de la bibliothèque municipale qui
était installée à ce moment là dans le chœur de l’ancienne église des
dominicains.
Lorsque les obus prussiens s’abattirent sur la ville de
Strasbourg dans la nuit du 24 août 1870, déclenchant un énorme incendie qui
détruisit entièrement la bibliothèque municipale, le bonnet phrygien en tôle disparut
à tout jamais en même temps que d’autres souvenirs historiques bien plus
précieux encore, tels le célèbre Hortus Deliciarum ou la marmite des Zurichois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire